OU ma mise au lit à moi
Et non, cette phrase tant redoutée, qui allume les warning dans ton cerveau épuisé de parent, ce n’est pas ton enfant adoré qui la prononce.
C’est toi.
Oui oui : toi, toi pourtant fatiguée par tout l’attirail qui accompagne la parentalité et dont je ne te refais pas ici le résumé.
Car tu le connais, ce moment de profonde joie quand, le soir, tu refermes la porte de la chambre de ton enfant adoré, chair de ta chair, prunelle de tes yeux, amour de ta vie.
Tu as des envies de danse de la joie bondissante en chantant du Beyoncé à tue-tête.
L’enfant est neutralisé. La mère est donc libre.
Sauf qu’en vrai tu repars à pas de sioux, tremblant à la seule idée que la chair de ta chair, prunelle de… enfin, on aura compris, ne se réveille d’un coup d’un seul.
Et que la nuit pourrie commence.
Donc tu réintègres ton salon à pas de loup, l’homme est sorti entre hommes, tu es donc seule et tu te dis… Mmmmmmhhhhh, que vais-je faire de réjouissant durant cette lonnnnnngue soirée de calme et de solitude.
Sur ta to do list, loin en-dessous de « acheter culottes urgent », « déguisement vampire sanguinolent urgent », « carte identité périmée urgent », il y a quelques idées bien séduisantes pour passer cette longue soirée de calme et de solitude :
-regarder un épisode sur Netflix, en entier
-manger sans moucher de nez en même temps
-prendre un bain (chaud) à l’huile de bain (d’adulte) et sans jouet (d’enfant)
-entamer (pour la douzième fois) le roman de 500 pages que naïve/trop optimiste/amnésique/complètement débile (biffer la mention inutile) tu as acheté il y a des mois
-entamer l’écriture du roman de 500 pages que mégalo/trop ambitieuse/idéaliste/complètement folle (biffer à nouveau la mention inutile) tu projettes d’écrire depuis des années
-tester la recette idéale de Spritz
-danser sur la table du salon
-enchaîner une séance de méditation et quatre postures de yoga dans un silence absolu
-repeindre le mur de ta chambre
Mais comment choisir ? Car vraiment, tu as envie de TOUT faire…
Au bout d’une bonne demie-heure de discussion passionnée entre toi-même et toi-même, tu optes finalement pour un petit combo réunissant l’ensemble de ces délicieuses activités, histoire de rentabiliser au maximum cette longue… enfin déjà moins longue… soirée de liberté.
Mais alors que tu t’apprêtes à sortir la bouteille de prosecco du frigo pour te faire un premier spritz, tout en écoutant une séance de Petit Bambou intitulée « Lâcher prise et instant présent : ne rien faire », pendant que ton bain se remplit voluptueusement d’eau additionnée d’huile d’argan, et que l’écran de démarrage de Netflix t’attend, ton regard est attiré par le cartable de ta fille cadette qui traine dans un coin de la cuisine.
Absolument pas à sa place, et surtout absolument vide de la collation et du goûter que tu prépares toujours la veille.
Tu y découvres, avec joie, sous la boule de dessins froissés, une banane toute noire… Le temps de désinfecter le cartable et d’y fourrer une banane (non pourrie) et un biscuit (non fait maison), tu réalises que ta salle de bain doit être sur le point de se transformer en hammam marocain, et que ton frigo est ouvert depuis 10 minutes, ce qui, on en conviendra, va totalement à l’encontre de tes principes les plus fondamentaux.
« Prenez maintenant deux profondes inspirations, et ne laissez pas vos pensées vous emmenez ailleurs qu’ici et maintenant. »
Tu cours arrêter le robinet, en prenant deux profondes inspirations, et tu tentes de ne pas laisser tes pensées t’entraîner ailleurs, en vidant le sèche-linge, qui tourne en boucle depuis une bonne heure maintenant.
Tu descends le linge propre et archi-sec, affones le pseudo-Spriz tiède, mets au hasard un premier épisode d’une série mexicaine pour ados et plies les tee-shirts de ta progéniture adorée, en réalisant la posture dite de l’arbre, à savoir debout sur un pied, l’autre remontant le long de ta cuisse. Ce qui, on en conviendra aussi, ralentit considérablement la séance de pliage.
Sentez le contact du sol sous vos pieds, votre respiration vous arrime à l’instant présent.
Dans ta télé, une comédienne pré-pubère pleurniche, dans tes oreilles, petit Bambou te répète pour la vingt-deuxième fois de respirer, dans ta salle de bain ton bain est tiède.
Et dans un coin de ta tête, tu sais que l’heure tourne.
Après avoir abandonné le premier épisode au bout de 5 minutes, et visionné 3 autres bandes-annonces de séries tout aussi peu convaincantes, le pliage est terminé, petite danse de la joie (sur la table du salon) (en silence, on est jamais trop prudent), car tu as déjà réussi à faire du yoga, de la méditation, et regarder Netflix sans être interrompue par des cris. Si ça c’est pas de la rentabilité.
Entre-temps, ton ventre se rappelle à toi. Détendue (grâce au yoga), dans le lâche-prise complet (grâce à la méditation) tu te décides à manger tranquillement, seule et dans la joie la plus totale de l’instant présent.
Un coup d’œil dans le frigo… et tu constates, horrifiée, qu’il est vide. Tu te mets donc à dresser la liste des courses des cinq prochains jours, cherchant sur internet comment cuisiner le panais (légume de saison) et s’il existe une sauce de pâtes à base de prosecco (seul ingrédient de ton frigo pour l’instant)
Finalement, après une demie-heure de composition de menus et de recherche désespérée dans les armoires, tu te rabats sur un bol de Chocapic que tu dégustes dans ton bain (tiède), d’une main, l’autre tenant le roman de 500 pages (manœuvre hautement délicate).
Après avoir terminé de déchiffrer la première page (pour la treizième fois donc) à la lueur très timide des bougies, tu ouvres le robinet pour tenter de réchauffer ce bain très rempli mais très tiède, et en observant le mince filet qui s’écoule du robinet, tu te dis qu’il est urgent de le détartrer.
Une nouvelle demie-heure plus tard, fleurant bon le vinaigre, frigorifiée mais fière de voir à nouveau le robinet couler de tout son saoul, tu réalises qu’il est déjà presque minuit, que l’homme ne va pas tarder à rentrer et que dans 6 heures tu te lèves.
Tu te glisses dans ton lit, ouvres ton ordinateur, crées un nouveau fichier, et écris, sous la poussée d’une inspiration soudaine : « Premier roman ». Tu hésites, tapes un mot, l’efface, tapes un autre mot, l’effaces à nouveau, cherches sur internet « comment trouver de l’inspiration pour écrire son premier roman de 500 pages », et finalement, sentant le sommeil te gagner, tu refermes ton ordinateur, avec le sentiment du devoir accompli.
L’homme rentre alors de sa soirée entre hommes.
LUI (joyeusement) : alors cette soirée rien qu’à toi, tu en as bien profité ?
TOI (particulièrement fière) : ah oui vraiment, j’ai fait TOUT ce que je voulais faire
Tu t’endors, en pensant à la sage conclusion de Petit Bambou que tu as pu expérimenter ce soir : ressentez les bienfaits de ce moment de lâcher-prise où vous avez choisi d’être plutôt que de faire ….
Avant de te réveiller en sursaut, une heure plus tard, angoissée et coupable :
« Oh noonononononononononononon, le mur de la chambre, j’ai complètement oublié de le repeindre…. »