Bruxelles, ma belle.
Je pourrais ziverer, en te racontant mon premier cri, mon premier jour d’école, mon premier baiser, mon premier slow, mes premiers kilomètres, mon premier cours d’unif, mon premier appart, mes premiers mots dans le poste, mon SuperChéri, le grand OUI, l’arrivée des petites Pimprenelle et Mistinguette et toutes leurs premières fois à elles… Toujours chez toi, et avec toi.
Je pourrais broebeler en te racontant les cinémas dans le noir et ce tout premier sentiment de liberté, les fêtes sur les tables qui plek, les opéras qui font frissonner, les bières les bières et encore les bières, les expos qu’on dévore, les pittas du Perroquet, la vue la nuit depuis le Palais de Justice, tous ces endroits tellement bobos mais tellement beaux, la minuscule rue de Jeanneke Pis, les tous premiers apéros urbains, les 20 km de sueur et de courage, les petits matins pâles où l’on n’en finit plus de refaire notre monde, le bowling Crosly de nos 15 ans, les petites boutiques qu’on déniche fièrement, les Marolles improbables, les marionnettes de Toone dont on comprend pas tout, les librairies ouvertes le dimanche, les croissants brûlants à l’aube, le glouglou du métro, les arbres dans la ville, les embouteillages partout et tout le temps, la petite barque pour traverser le lac, l’art un peu partout, les frites et leur sauce qui dégouline sur le menton, les places de parking qu’on cherche des heures durant, le 21 juillet qui pétarade, les concerts sur la Place des Palais, le Roi et la Reine qui agitent la main devant les gens qui agitent les drapeaux, le ding ding du tram, la drache nationale, tes rues qu’on traverse à pied de haut en bas, les quartiers d’à-côté, les fêtes.
Je pourrais babbeler pendant des heures sur ton côté super terre-à-terre, pas de grand discours, juste du concret, les deux pieds sur les plattesteen, ta zwanze, tes zinneke, tes hésitations, tes half-en-half, tes oui peut-être non sans doute, tes 40 nationalités et plus encore, tes échecs, tes cicatrices, ton côté schieve, tes peurs, tes tunnels qui tombent en miette, ton authenticité, tes faux grands-airs, tes gaffes en stoemelings, tes quartiers chics, ton côté choc, ton coeur qui bat, encore et toujours, malgré tout, malgré tout ça.
Je pourrais surtout pleurer à vraies larmes sur cette station aux longs visages et au nom imprononçable pour les autres, moi qui, comme Léopold, prenais ce métro pour aller sur les mêmes bancs que lui. Pleurer sur mon aéroport, qui a toujours été tout près, ses avions qui nous réveillent parfois la nuit, et son hall des départs où chacun a un souvenir au moins… C’est chez nous, c’est à nous.
Bien sûr, ça me hante la nuit, ça m’empêche de dormir. Bien sûr, il y a leurs visages comme les nôtres, leurs vies volées sans raison. Leur douleur sourde, leurs cris. Notre immense impuissance et notre immense chagrin.
Des enfants. Des papas. Des mamans. Des profs. Des familles déchiquetées. Des étudiants. Des sportifs. Des voyageurs. Des rêveurs. Des gens bien. Des travailleurs. Des expats. Des danseurs. Des dragueurs. C’est nous.
Il y a nos larmes, notre profonde douleur.
Et puis il y a l’envie de tenir bon. L’envie d’être debout. Pas de haine. Ni de peur. Etre fort, potferdeke. Etre soi, malgré tout.
Il y a la Bourse, ses sourires, ces mains qui se cherchent, ses dessins à la craie qui s’effacent mais ne s’effacent pas, ses bougies qui vacillent mais ne vacillent pas, ces gens debout, tous ces gens. Ces regards qui en disent long. Et juste l’essentiel.
Bruxelles, ma belle, tu es toujours aussi belle. Ils ont voulu bêtement te faire du mal. Ils t’en ont fait, c’est vrai, terriblement. Mais aujourd’hui, tu es toujours debout, sur tes plattesteen et sous ta drache.
Et tu n’as jamais été aussi vivante.
Manneken Peace from Simeon Janssens on Vimeo.