La peur de la floche

OU la virée de folie à la foire (enfin « de folie »…)

La foire, c’est une des grosses sorties pour eux. Mais pour nous, franchement, c’est pas vraiment l’éclate.

En fait, c’est le genre d’activités que je classerais dans la catégorie des théoriquement très séduisantes mais pratiquement très compliquées. Comme quand tu  achètes une boite de Play-doh en te disant « oh, quelle magnifique après-midi nous allons passer tous ensemble à faire des petits animaux en pâte à modeler ».

Et puis vient l’après-midi en question, où tu te retrouves à quatre pattes, pour récupérer les boulettes de plasticine dans les rainures du parquet, ton aînée chouinant car elle n’arrive pas à faire une tête de lapin maman tu peux faire une tête de lapin, et ta seconde tentant de bouloter en stoemelings le machin rose fluo censé être un bébé cochon.

L’après-midi à la foire, c’est un peu du même acabit.

Je te plante le décor. Samedi midi. 12 degrés. Ciel menaçant. Tribu version réduite. Un SuperChéri tournant comme un lion en cage. On s’apprête à manger un délicieux tartare à l’italienne (enfin, délicieux… disons que pour mon niveau de cuisine, c’est très réussi), sauf que Mistinguette qui « voulait juste un peu se coucher dans le fauteuil avec Doudou Lapin et une couverture » s’est, contre toute attente, endormie. Et là elle dort à fond. Dans le salon. Plutôt que dans son lit.

On hésite pendant des plombes : on la monte dans son lit ou on la laisse là ? Tu connais hein, ce genre de débat passionné. Avec le « mais si on la bouge, elle va se réveiller, et elle voudra pas continuer sa sieste dans son lit et la sieste est foute », et le « oui mais si elle dort ici elle risque de se réveiller et la sieste est foutue ». De toute façon donc, quoi qu’on fasse, la sieste sera foutue. C’est à dire trop courte et qui dit sieste trop courte, dit enfant fatigué, et qui dit enfant fatigué dit parents au bord de la crise de nerfs.

Pimprenelle quant à elle est toujours dans sa phase bondissante. Ce qui signifie très concrètement : 1 minute 30 dans sa Tripp Trap – chouinage et tortillement à comprendre d’un décidé « Je veux sortiiiiir » – installation d’un tapis de jeu et d’une demi-tonne de formidables jouets clignotants- 3 minutes de jeu enthousiaste – chouinage et tentative de 4 pattes signifiant clairement « Je veux aller ailleurs » – déplacement devant la table basse du salon – 2 minutes de « je me mets debout, je me fatigue, je me rassieds, je me remets debout, … » – chute, gros chagrin, retour dans mes bras – retentative de Tripp Trapp.

On peut tenir 2 heures comme ça.

Sauf qu’à force de chouinage de Pimprenelle, Mistinguette se réveille (on a fini par opter pour l’option « on la laisse dans le salon »). Et la sieste est donc trop courte. Et Mistinguette est donc fatiguée.

Il est 13H55. L’après-midi n’a donc même pas encore théoriquement commencé, et les siestes sont déjà terminées. Mais comment allons-nous tenir jusqu’à 19H30 ?

Du coup, quand je propose à SuperChéri, d’un ton beaucoup trop enthousiaste, « et si on allait à la foire ? », il me répond d’un (beaucoup trop enthousiaste aussi) « Oh oui! »

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(Oui, si dans mon ancienne vie on m’avait dit qu’un jour, on en arriverait au stade où aller à la foire deviendrait la sortie  de folie du week-end, je pense que j’aurais fait voeu de chasteté jusqu’à la fin de mes jours).

Bref. Tout ça pour te dire que nous voilà en route pour la foire. Pimprenelle bondissant dans son siège auto. Mistinguette crevée mais surexcitée (ça va souvent de paire cela dit), SuperChéri ravi de se dégourdir les jambes, et moi ravie de voir tout le monde ravi.

Bon, je te vends cette foire comme un truc de dingue, mais en fait, c’est une mini foire. Genre on a fait le tour en 10 minutes- enfin, 17 minutes si on tient compte de tous les obstacles à franchir en poussette (mouiiiiiii, nous avions pris cette chère poussette avec nous).

Mistinguette peut choisir deux attractions.  Qui sont déjà toutes choisies. Car quand tu supprimes le tir à la carabine (beaucoup trop violent), les auto-scooters (beaucoup trop mouvementé), les gros ballons transparents sur l’eau (beaucoup trop mouillé) et la pieuvre (beaucoup trop vomissant), et bien… il reste pas grand chose. Un manège et deux pêches aux canards. Et des trucs à manger, mais nous avons réussi jusqu’à présent à cacher à Mistinguette l’existence des barbes à papa et des croustillons, et nous aimerions que cela dure le plus longtemps possible.

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Nous voici sur le manège. Pimprenelle sautille dans sa poussette. SuperChéri va acheter un ticket. Le manège ne me dit rien qui vaille. Tout est fluo. Il y a pas un seul cheval en bois, pas de camionnette vintage. Aucun hélico qui monte quand tu pousses sur un bouton. Les portes du mini-bus ne s’ouvrent  même pas, il faut passer par la fenêtre.

Et ne parlons pas de la musique diffusée à fond. Un vieux truc des années 90 sur lequel j’ai dû me déhancher lors d’un boum à ma grande époque. Mais là, franchement, arrêtons de rire, on est dans une foire. On est des parents. On va devoir se taper, au bas mot, une dizaine de tours de manège en agitant la main. Vous pouvez pas nous mettre un truc sympa pour patienter ? Un truc récent. Ou un vieux truc, mais un bon vieux truc?

SuperChéri a le précieux ticket. Mistinguette a jeté son dévolu sur le bus (celui avec la fausse porte). Elle se jette dessus, l’escalade, s’installe. Elle est très fière (et moi aussi).  Je lui fais un signe (le premier d’une longue série).

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J’en profite d’ailleurs pour ouvrir une réflexion fondamentale sur les foires.  Pourquoi, quand nos gosses sont sur ces manèges, on agite toujours bêtement la main chaque fois qu’ils passent ? Ils nous voient. Ils se doutent bien qu’on va pas partir pour s’empiffrer de croustillons. En plus, chaque tour de manège, ça dure combien ? 15 secondes ? Ok, ils ont la mémoire courte, mais bon, 15 secondes ça va, ils retiennent que leurs parents sont là, sur les chaises en plastique, à battre du pied sur un vieux tube de Gala.

En fait, je me demande s’ils nous font pas des signes à leur tour pour qu’on arrête d’agiter bêtement la main comme si on était la reine Mathilde. Style « Ok Maman, je t’ai vue, tu n’as pas besoin de me dire bonjour à chaque passage ».

Bref. J’agite donc ma main. C’est plus fort que moi. J’essaye de retenir ma main droite avec ma main gauche, mais dès que le bus passe, je fais de grands signes ridicules. Et je regarde du coin de l’oeil : SuperChéri fait pareil…

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Tout se passe donc à merveille.

Jusqu’à ce qu’arrive la floche.

Car voilà, Mistinguette a une mystérieuse phobie. Elle a peur des fils. Un cheveu, un fil de laine, un cordon, un filament, peuvent la mettre dans un état d’angoisse incontrôlable.

Tu imagines donc la floche d’un manège de foire. Plein de super gros fils de laine, qu’en plus on lui agite en plein dans la figure.

Mistinguette se lève d’un coup dans son bus. En hurlant. (Je comprends enfin l’intérêt de la fausse porte.) Elle tente de s’enfuir (par la fenêtre donc), jusqu’à ce que SuperChéri intervienne. Tel un sauveur, d’un bond, il saute sur le manège, enjambe un Dumbo vide, se glisse sous un avion, et vole au secours de Mistinguette. D’un regard, il fait comprendre au type qui agite toujours cette horrible floche devant le bus d’arrêter immédiatement, il donne la main à Mistinguette et lui dit un truc qui a l’air de la rassurer.

Elle se rassied.

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Musicalement, on passe un nouveau cap, c’est désormais Dave qui chante à tue-tête.

Un gamin décroche la floche et hurle de joie (ben oui, comme n’importe quel gosse quoi… C’est juste ma Mistinguette qui a toujours pas compris le principe).

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Le manège s’arrête. Je m’imagine qu’on va en rester là. Mais non, voilà Mistinguette qui en redemande. Et cette fois, c’est moi qui dois m’y coller.

Je dis clairement au type du manège de ne pas mettre la floche chez nous. On s’en fout de la floche. Il propose quand-même à Mistinguette de la regarder de près, histoire de vaincre sa phobie. Mistinguette me lance un regard désespéré en agitant la tête de gauche à droite. Je décline la proposition d’un merci poli mais ferme.

Arrive alors ce moment toujours terriblement stratégique, et délicat, du choix de l’engin sur lequel ton enfant chéri va vivre ses tours de manège.

Mistinguette veut absolument la moto verte avec Grosminet. Le temps d’y arriver, un petit garçon est sur le coup aussi. Il s’accroche au guidon. Mistinguette me regarde, catastrophée.

Tu fais comment toi dans ces cas-là ? Aucun critère objectif pour les départager. Ils ont le même âge. Ils ont l’air tout aussi déterminés. Ils sont arrivés exactement en même temps.

Le père est sur le coup aussi. Je le  toise un quart de seconde. Personne ne bouge.

Finalement, Mistinguette, raisonnable, se rabat sur une autre moto. L’incident est clos.

Et elle a eu la bonne idée de choisir un scooter à deux places. »Tu viens Maman?  »

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Trop contente, je m’assieds derrière elle. Je m’apprête à me faire conduire par ma fille de 3 ans, pour une balade les cheveux au vent, et ça m’éclate. Jusqu’à ce que le type du manège arrive, et me signifie fermement que le manège n’est pas pour les parents, et qu’ils peuvent juste rester à côté. Debout.

Super déçue donc. Mistinguette aussi.  Ce type n’a probablement jamais eu  3 ans.

Le manège démarre. On fait toutes les deux un signe à SuperChéri et Pimprenelle qui agite les jambes. Premier tour. C’est marrant en fait. Deuxième tour. Ca tourne quand-même relativement vite en fait ce machin. Troisième tour, Mistinguette ne bouge pas d’un millimètre. Je lui demande si elle aime bien, et contre toute attente me dit « ouiiiiiiiiiiii! » alors qu’elle semble résignée sur son scooter. Quatrième tour. Mon tartare à l’italienne commence à faire la fiesta dans mon estomac. Cinquième tour, le gars lance sa floche, elle passe à 10 centimètres de Mistinguette qui ne s’en rend pas compte. Je fais un geste très menaçant au type pour lui demander d’arrêter immédiatement. Sixième tour, pfff, y en a combien ? Septième tour, Mistinguette gigote un peu mais reste toujours bien agrippée à sa monture. Huitième tour. Le tartare ne fait plus du tout la fiesta. Au onzième tour, Mistinguette s’est un peu déridée. On a évité trois fois la floche. Au quatorzième tour, je suis sur le point de vomir, et prête à soudoyer le type pour qu’il arrête immédiatement son bête manège. Au dix-septième tour, enfin, mon calvaire se termine. Je descends, chancelante, verte.

A mon grand soulagement, Mistinguette accepte d’abandonner le manège pour la pêche aux canards.

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Là, pas de problème d’estomac retourné, de floche menaçante ou de parents non admis.

Mistinguette pêche ses 9 canards avec beaucoup d’application.

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Elle peut choisir un cadeau, dans les trois rangées du dessous et sur le côté. Elle choisit sur le côté, mais apparemment trop sur le côté. Bon, on recommence. Je lui décris tous les cadeaux avec beaucoup de mauvaise foi. 

Car il faut bien l’avouer, cette affaire de choix de cadeau est un autre grand moment de vigilance parentale.  Histoire qu’elle reparte pas avec un brol trop brol, un truc super bruyant (mes oreilles se souviennent toujours de la trompette ramenée un jour par Miss Papote) ou une fausse arme (cela ne rentre pas chez moi, et je suis très psycho-rigide sur ce genre de question).

Après vingt minutes d’hésitation, Mistinguette  finit par choisir un micro (fourni sans piles) et même sans piles, cela lui va très bien comme ça.

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Nous rentrons. J’ai l’impression d’avoir passé l’après-midi dans une machine à laver.

A bien y réfléchir, je me demande si je n’aurais pas préféré ramasser la pâte à modeler dans les rainures du parquet…

Mais pas sûre que le cochon rose fluo aurait fait autant pétiller le regard de Mistinguette que le bus sans porte…

Et puis, je repense à la chanson de Francis, et je me dis que c’est bien aussi, les tours de manège (même quand ils sont pas gratuits)…

Et toi, la foire, c’est une sortie de folie aussi ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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